ITINÉRAIRE

Voilà plus deux mois que je n’ai rien posté !

Alors pour me remettre au clavier, il me semble utile de dresser d’abord une liste des villes (ou îles) où je me suis arrêté, parfois pour un ou deux jours, parfois pour plusieurs semaines, et où je suis parfois revenu.

Tokyo

Fukuoka

Yame

Kurume

Ōita

Yufuin

Beppu

Onta

Hita

Kitakyūshū

Osaka

Kyōto

Yoro

Kanazawa

Naoshima

Teshima

Inujima

Kobe

Séoul (sic)

Nara

Et entre temps, un fort tremblement de terre à Osaka, plus récemment les inondations à Kyōto (et quelques nouvelle secousses à Kyōto), désormais les chaleurs extrêmes, m’ont fait ressentir très concrètement l’instabilité quotidienne, très souvent commentée, avec laquelle les Japonais doivent composer. On annonce pour les jours prochains le passage du typhon Jongdari, une expérience qui manque encore à mon palmarès.

J’avais d’abord pensé associer à cette liste tous les musées que j’ai visités, mais cela ne rendrait pas justice à toutes les surprises visuelles que m’ont offertes la rue, la forêt, les îles, les librairies, les restaurants ou encore les ateliers d’artisans. Sans oublier les très nombreuses rencontres, car dans un pays où je ne possède ni la langue ni les codes, chaque personne croisée représente un ou une précieux-se “indic” – parfois à son insu. Je voulais contourner un Japon de cartes postales, et j’ai été servi. Tout semble de prime abord impossible, et puis, souvent au moment où on s’y attend le moins, les choses se débloquent…

N’avoir rien écrit depuis si longtemps me permet au moins de commencer à faire quelques liens entre toutes ces étapes, et ces centaines d’images accumulées qui, petit à petit, se sédimentent. En ne postant que des images, j’aurais peur que ce blog devienne une sorte de compte Instagram.

 

 

Qu’apprend-t-on de ce que l’on voit ? En quoi ce que l’on voit nous modifie, nous fait penser différemment ? Un geste fugace relevé dans la danse des mouvements quotidiens, comment nous affecte-t-il ? C’est plus difficile à mesurer que lorsqu’on partage une conversation avec quelqu’un ou si on lit un livre. Ce sera sûrement ce que j’essaierai de décanter dans les mois qui viennent et ce blog sera donc alimenté avant et après mon voyage.

Je ne suis spécialiste de rien, et curieux de presque tout. Et je crois beaucoup à une culture de l’oralité qui, dans ce pays où les gens sont peu diserts, et où l’on s’exprime la plupart du temps dans un anglais très limité, demeure essentielle. La plupart du temps, on s’explique les choses en se les montrant, en faisant quelques gestes pour comprendre la logique d’un objet par exemple.

Ici, il m’est souvent difficile d’accepter les relations très hiérarchiques qui structurent la société dans son ensemble, mais qui orchestrent aussi les relations au quotidien. C’est la première fois que je réalise qu’en France, chacun-e profite et porte en lui-elle un peu des bienfaits de la Révolution, et combien il fut salutaire de couper la tête du roi.

D’une façon similaire, en m’installant à Bruxelles, j’ai commencé à ressentir combien le système haussmannien à Paris pesait sur mon quotidien, comme une grille qui, en étant imposée à nos gestes et nos mouvements, influence aussi nos manières de penser. Au Japon, où tout est régulièrement reconstruit, il y a une culture du rafistolage et de l’hybridation beaucoup plus féconde. Le tissu urbain, dans les grandes villes comme dans les plus petites, regorge de formes et d’échelles bien plus contrastées qu’en Europe.

J’avais intitulé l’un de mes premiers article “Dépareillé”, et si cette particularité se retrouve dans beaucoup d’aspects de la culture japonaise, la société elle-même y reste très homogène. Je suis par exemple resté dans différentes villes de l’île de Kyushu et, la plupart du temps, resté l’unique non-japonais, sans cesse regardé et jugé comme tel. Il faut répéter, et répéter encore, combien la société “dépareillée” qui se dessine depuis des siècles en Europe – non sans heurts – est le seul horizon humain qui vaille la peine d’être pensé. Le repli sur soi n’a jamais rien produit et semble oublier que les nations naissent et meurent elles aussi. Nous savons bien que les frontières ont été établies d’après la géographie – l’isolement du Japon est lié à son caractère insulaire – mais qu’elles sont aussi déterminées par les hommes. (Voir à ce sujet cet article de John G. Russell dans The Japan Times.)

Pourquoi m’est-il aussi difficile d’écrire ? Sans doute parce que j’expérimente chaque jour la complexité d’un pays qui semble tissé de contradictions, et qui les maintient en tension, ce qui n’est pas sans provoquer une forme de violence, même si cette violence est souvent larvée ou rentrée.

Les mouvements quotidiens semblent ici chorégraphiés avec la précision d’un mouvement d’horlogerie. Il me suffit de regarder glisser les minuscules camions de livraison, les piétons ou des vélos dans la rue – car tout glisse ici – comme source de ravissement inépuisable. Je pense à la Tentative d’épuisement d’un lieu parisien de Perec et observer ce qui m’entoure me contente. Le réel semble plus limpide ici qu’ailleurs parce que tout est structuré pour rendre chaque chose lisible et pratique. Du beau dans l’utile.

Cette société ultra-capitaliste, qui est reine depuis longtemps dans le domaine de l’appropriation, me semble un endroit privilégié pour penser les phénomènes de globalisation. Le Japon, sous ne nombreux aspects (aussi esthétiques), prône souvent une forme de repli identitaire. Mais c’est à la fois le pays le plus informé qui soit. On a le sentiment au Japon que le monde entier est importé par bribes, sur le plan commercial comme sur le plan culturel. Et cela ne date pas d’hier.

 

 

Je viens de visiter Chochikukyo, la maison moderniste de l’architecte et ingénieur Koji Fujii (1888-1938), construite en 1928 à Oyamazaki, à une vingtaine de kilomètres au sud de Kyōto. L’horloge murale encastrée – très japonaise – était du designer écossais Charles Rennie Mackintosh, mais avait été repeinte en noire. Et je m’étonnais de la qualité des grandes baies vitrées, dont toutes les vitres étaient d’origine, sauf quelques unes, changées seulement il y a quelques semaines après une secousse sismique. En fait, les vitres ont été importées d’Allemagne car les Japonais ne savaient pas fabriquer du verre de cette dimension à l’époque.

Il est temps pour moi de voler ici quelque chose. “Le Droit au vol”, comme disait Nadar.

 

 

 

3 thoughts on “ITINÉRAIRE

  1. So nice to hear again from your expedition. Looking forward to more – pictures! Don’t be afraid of seeming too teenage (instagram).

    If you are going to steal there is some ethical compulsion to share? At least with your fellow thieves…

    One strand from your report that struck me was the idea of your feeling of being seen as « un-Japanese ». I have no doubt that among the island bounded homogeny its easy to feel under scrutiny…as it is when one appears different from others in many places, but it seems to me that your arrival there, or anyone else who comes from the outside to the inside of new locales is more simply « the new one » at this point in global history. As an American, it seems a useful way to think of most of the people in United States for instance.

    Your situation does bring to mind a comic distraction to these thorny issues of nationalist cultures…and maybe I shouldn’t post this but I can’t help but do so…it is the Museum of Errors after all….https://www.youtube.com/watch?v=IWWwM2wwMww

    Looking forward to further communiques!

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