En voyant cette corneille morte sur le trottoir à Genève, j’ai pensé au très beau livre de Masahisa Fukase, Karasu (Londres, Mack, 2017). La série était exposée lors de sa rétrospective aux dernières Rencontres d’Arles.
Mais mon livre préféré c’est Hibi, une de ses dernières séries (1990–1992) où il photographie dans la rue des craquelures à la surface de l’asphalte. Ces lignes dans le sol sont comme autant de lignes de vie mais elles rappellent aussi la vulnérabilité du Japon face aux secousses sismiques.
Les tirages sont retouchés à l’encre et portent souvent l’empreinte de son pouce en rouge, comme les tampons sur les estampes traditionnelles. Ses gestes, photographier par terre puis ornementer les tirages en les maculant de couleur, relèvent d’une liberté que seul-e-s peuvent s’autoriser les artistes délestés du souci de bien-faire. Avec ces éclaboussures au sol qui se confondent avec les coulures rajoutées, Fukase réalise pourtant une série qui semble presque traditionnelle. Et puis, aux débuts de la photographie, les photographies noir et blanc étaient elles aussi rehaussées en couleurs.
Un point commun à ces quelques images, c’est de nous ramener au niveau du sol. Le sol est respecté de mille façons au Japon. Aujourd’hui, la majorité des images se perdent dans le Cloud. Retrouver un sol aux images.
Le patron du salon de thé où j’écris me demande ce que je fais (sous-entendu à passer autant de temps devant mon écran), et je lui montre cet article au hasard. Il relève que la carte postale n’est pas japonaise mais coréenne, sujet très sensible ici. Je suis de toutes façons une erreur ambulante, ça pourrait faire l’objet d’un blog-miroir ;-).